[Discussion] Ecrire à un taulard, un passe-temps comme un autre ?

[Fred]

sur une suggestion de Lagertha.

J'ai pris contact avec le monde carcéral grâce à facebook il y a un peu plus de 10 ans. je testais ce réseau social, à l'époque il n'y avait que facebook et tweeter.

J'ai trouvé et je me suis inscrit dans un groupe qui soutenait un jeune gars impliqué dans un drame sans qu'on sache (à ce moment) quel était exactement son implication.
j'ai demandé si je pouvais faire plus qu'un soutien facebook, et j'ai démarré une correspondance, au début à sens unique avec un prévenu tout juste majeur.

Pour ne pas poser à mon interlocuteur de question idiote sur la prison, je me suis inscrit au courrier de Bovet, où on m'a confié une détenue longue peine (une quizaine d'années) et j'ai débarqué sur ce forum, en répondant à Tatie qui voulait comprendre qu'est-ce qui pouvait bien motiver un "humanitaire" 

bref aujourd'hui j'ai gardé un contact avec la première personne avec qui j'ai décidé de me lier, j'ai quelques correspondances à mon actif.
je pars du principe qu'une fois le lien établi, je ne dois pas être celui qui rompra la connexion même si à part pour le premier, ce lien n'a jamais été autre que par courrier. 
On ne peut pas tendre la main à un détenu et la retirer parce qu'on n'y trouve pas ce qu'on avait espéré. On ne peut pas dire à une personne qu'elle compte, qu'elle est importante, qu'elle a le droit d'être traitée comme une femme ou un homme et tout plaquer quanf on a mieux à foutre. 
Alors non, tendre la main n'est pas un passe temps comme un autre c'est un engagement pas toujours satisfaisant pour nous comme pour celle ou celui avec qui nous l'avons pris.

Celles et ceux qui comme moi ont décidé un jour de s'interesser à des personnes privée de liberté, venez nous dire ce que vous en pensez, ce que vous en retirez, ce qui vous fait tenir ou abandonner.

à vous !

[Ssh]

Je vais essayer de répondre le mieux possible.
Car non, faire la démarche d'écrire à un détenu surtout qu'on ne connait pas, n'est en aucun cas un passe temps.
Pour ma part j'ai hésité longtemps avant de le faire, je me disais qu'il allait peut être mal le prendre, m'envoyer balader ou simplement ne jamais répondre. Quand j'ai reçu sa première lettre là j'ai su que je ne pourrais pas faire marche arrière, jusqu'ici ça ne m'a jamais traversé l'esprit, mais on sait tous qu'il ne s'agit pas que d'envoyer du courrier et de soutenir. Il faut bien choisir ses mots savoir s'adapter au détenu, son état psychologique, les jugements des gens qui ne comprennent pas toujours pourquoi on soutient une personne qui a pris un mauvais tournant. Ils pensent souvent qu'on cautionne la ou les raisons qui les ont conduit en prison, alors que ça n'a rien à voir. Il y a simplement des histoires qui touchent plus que d'autres, des gens qui nous touche et qui sont avant tout des humains. Peut être qu'un jour ça s'arrêtera mais comme vous ça ne sera pas moi qui coupera le lien la première, je serais là pour lui tant qu'il en aura envie et besoin, sans jugement.
Je ne pensais pas un jour faire cette démarche, et sans le savoir ça m'a aussi beaucoup aidée à relativiser quand je traverse une période un peu difficile, à savourer chaque instants qu'ils soient joyeux ou non, en me disant que demain tout peut basculer, à m'ouvrir un petit peu plus ( je ne suis pas très sociable de base). Et cette démarche m'a conduite jusqu'à ce forum, que je trouve complet, avec des personnes parfois un peu brutes de décoffrage mais franches avec des valeurs et des principes simples que j'apprécie.
J'ai encore énormément à apprendre mais je ne regrette pas d'avoir " sauté le pas " je tiendrais jusqu'au bout, envers et contre tout.

[Lagertha]

C'est après la lecture d'un article, qui même plus de 15 ans après me bouleverse encore, que j'ai décidé d'écrire à un détenu de très longue peine pour le soutenir.

Ce texte, que je vous invite à lire (j'essaierai de le publier sur le forum) s'appelle l'appel des perpétuités de Clairvaux.

Lorsque je me suis inscrite sur le forum il y a bientôt 10 ans, j'avais expliqué mes motivations et notre regretté sachant m'était tombé dessus en me demandant pourquoi soutenir, je le cite, "un enculé de détenu" qui a bien cherché à être en taule plutôt que de militer contre le massacre des bébés phoques !

Pour la petite info, sans en dire plus, je suis travailleuse sociale donc je n'ai aucun à priori sur personne bien que j'aie tout de même mes limites et je vois l'Homme avant les actes. Actes que je ne cautionne aucunement. J'ai toujours été très claire et lucide sur qui j'avais en face de moi.  

Jusqu'à il y a quelques mois, je soutenais 3 détenus. Le premier un détenu très longue peine qui a cessé tout lien avec moi, très brutalement, au moment de sa sortie. Le deuxième, un détenu longue peine qui a également cessé tout contact et le troisième qui est prévenu mais qui va prendre très très cher aux assises.

De part ma longue expérience, je mets souvent en garde les personnes qui souhaitent entamer une relation épistolaire avec un détenu parce que c'est un engagement sur la durée. C'est vraiment une décision à ne pas prendre à la légère et il faut savoir tenir, supporter, encaisser, ramasser.

Pour le détenu, on devient son père, sa mère, son tout. Même sans relation amoureuse. Un détenu c'est très égoïste, il nous bouffe toute notre énergie, notre patience et notre bonne volonté. Et il ne comprend pas que nous ne soyons pas toujours au top car nous, on a la chance, si c'en est une, d'être dehors !

J'ai "visité" plusieurs prisons de France, écumé des kilomètres, dépensé un fric fou dans le trajets, hébergements, etc... J'ai fait des heures et des heures de parloirs, parloirs familiaux et UVF.

Ces expériences sont avant tout une aventure humaine intense. Le choc de deux mondes. Choc qui provoque souvent des incompréhensions de part et d'autre, beaucoup de frustrations. Il faut vraiment avoir un moral d'acier et être solide comme un roc pour supporter certaines situations.

En ce moment je ramasse pas mal d'être la plus que  proche de mon proche mais j'assume.
Selon le profil de notre proche, on est vite incompris et relégués au même rang que lui. J'en ai entendu (et j'en entends de plus en plus) des vertes et des pas mûres, tant de la part du personnel que des familles.

Cependant, il n'y a pas que du mauvais, ces années m'ont permises aussi de faire des rencontres formidables. Avec des détenus croisés au parloir, avec des familles, avec des surveillants.

Un parloir c'est une parenthèse de vie. Tout est amplifié. C'est si rapide qu'on va droit à l'essentiel, on s'engueule, on discute, on s'aime en se chronométrant. Je ne pensais pas vivre un jour tout un panel d'émotions en un temps si court.

Souvent on ne nous comprend pas. Pourquoi le soutenir ? Bah j'ai envie de dire que le mec il est comme toi, une tête, deux bras, deux jambes et un coeur.

Ssh le souligne, il y a des histoires qui nous touchent plus que d'autres alors j'estime ne pas avoir à me justifier auprès des redresseurs de tort qui parlent sans savoir.

Deux de mes trois proches ont décidé de cesser toute correspondance/relation sans crier gare. Il faut garder cela en tête car c'est très violent. Mais ça se peut se comprendre mais là encore, il faut vachement être bien construit mentalement car forcément on se sent coupable, on cherche où on a merdé alors que non, c'est la faute à la prison, à la détention, à deux mondes qui s'entrechoquent et qui ne se comprend pas.

Si c'était à refaire je referais tout pareil mais je ne m'attendais pas à tant m'en prendre plein la gueule pour pas un rond. Et qu'il y a plus de négatif que de positif à en tirer mais après avoir fait le choix, on a le devoir de rester, envers et contre tout.

Alors NON, écrire à un taulard n'est pas un passe temps comme un autre.

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