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[Actu]à La Santé, les détenus les plus défavorisés ont faim
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[Actu]à La Santé, les détenus les plus défavorisés ont faim
« SOIT T’AS DE LA THUNE, SOIT TU CRÈVES LA DALLE »
À la prison de la Santé, les détenus les plus défavorisés ont faim
Depuis la réouverture de la maison d’arrêt de la Santé, de nombreux détenus déclarent souffrir de la faim. Certains auraient même perdu du poids. Dans cet établissement, la cuisine a été confiée à un prestataire privé.
Maison d’arrêt de Paris-La Santé – « On a encore faim même après avoir mangé », soupire un détenu devant son assiette, ce vendredi 25 octobre. Comme tous les midis, un auxiliaire déambule dans les couloirs de la prison pour servir le repas, dans le quartier de détention ordinaire. Sur son chariot, ce jour-là, des pâtes au thon et une salade de fruits. « On sait qu’on n’est pas à l’hôtel mais quand même, on n’a pas assez à manger ! », explique Alex (1), un autre occupant.
Le problème ne date pas d’hier. Après la réouverture de la maison d’arrêt après quatre ans de travaux, le député France Insoumise Ugo Bernalicis s’était rendu sur place le 27 février 2019. Lors de cette visite parlementaire, un détenu avait interpellé l’ancienne directrice de l’établissement sur les faibles quantités de nourriture, rapporte l’Observatoire international des prisons (OIP). « Dès la réouverture, on a eu plusieurs remontées de détenus qui avaient faim, mais aussi de soignants inquiets et même de personnels. On a enquêté et contacté à plusieurs reprises l’ancienne direction et la nouvelle par mail, sans jamais avoir de réponse », détaille Sarah Bosquet, journaliste chargée d’enquêtes à l’OIP.
Pour en avoir le coeur net, StreetPress a profité d’une nouvelle visite du député France Insoumise pour se rendre à la prison de la Santé et échanger avec les détenus.
« On a tout le temps faim ! »
Debout dans un coin de sa cellule de 9 mètres carré, qu’il partage avec un autre détenu, Robert (1) en a ras le bol. Il jette un regard déconfit vers sa salade de fruits :
« Y’a quoi, six tout petits morceaux là-dedans ! C’est toujours comme ça quand t’es en fin de tournée, tu te retrouves avec à peine deux cuillères de purée. »
Matin, midi et soir, c’est toujours la même histoire : les prisonniers en détention ordinaire croisent les doigts pour être servis parmi les premiers. Dans ce quartier, les repas sont servis à la louche par un auxiliaire. L’ordre de passage dans les cellules varie chaque jour. Plus la tournée avance, plus les bacs se vident, et plus les portions sont petites. Problème : de nombreux détenus sont « indigents » et n’ont donc pas les moyens de cantiner [acheter des produits, notamment alimentaires (2)] pour compléter l’ordinaire de la gamelle, pas assez consistant. « En gros, soit t’as de la thune pour t’acheter des trucs, soit tu crèves la dalle. Après le déjeuner, j’ai faim l’aprem. Après le dîner, j’ai faim la nuit. On a tout le temps faim ! », résume Robert (1).
Des détenus qui ont maigri
Pour les détenus interrogés, l’origine du problème est claire : les quantités de nourriture sont insuffisantes. Ahmed (1) occupe une cellule dans un quartier « spécifique » (3). Ici, les plats ne sont pas servis au bac mais à la barquette. « Dans les deux cas, c’est pas consistant », estime le jeune homme avant de montrer une étagère remplie de gâteaux. « J’ai de la chance, j’ai de l’argent », admet-il avant de confier : « Il y en a qui ont maigri depuis qu’ils sont arrivés. » Une situation spécifique à la Santé. « On est plusieurs à avoir été dans d’autres prisons avant et ici il y a moins à manger. Mais les normes sont respectées donc on peut rien dire, même si c’est pas assez. »
Depuis la réouverture de la Santé le 7 janvier 2019, la restauration de l’établissement est déléguée à la société Gepsa, et sous-traitée à Eurest, une marque de Compass Group France. Ce prestataire doit respecter un cahier des charges répondant aux prescriptions et aux recommandations diététiques fixées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et par le Groupement d’étude des marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN). Ces prescriptions, qui concernent aussi bien la quantité que la qualité des aliments, sont établies avec l’aide d’une diététicienne. Ce sont les mêmes dans les 63 établissements pénitentiaires dont la restauration est déléguée. Mais, d’après Sarah Bosquet, de l’OIP, confier les repas à des entreprises privées constitue déjà un problème en soi :
« Pour le partenaire privé il y a intérêt à faire des plus-values, et donc pas forcément à servir de grandes assiettes. Normalement, ce qui est servi doit suffire à satisfaire les besoins journaliers – y compris pour les personnes qui n’ont pas de ressources pour cantiner et qui doivent se contenter des repas servis. Visiblement, ce n’est pas le cas. »
Malgré les vives critiques des détenus et de l’OIP, la Santé prend son temps pour agir. « On attend depuis des mois déjà et ça ne s’améliore pas alors que tout le monde est au courant », tacle Alex, un détenu. « On a contacté les chefs d’établissement à chaque changement de direction. On a su en off qu’ils avaient bien conscience du problème – et que nos courriers avaient bien été lus – mais on n’a jamais reçu de réponse officielle à nos questions », abonde Sarah Bosquet, de l’OIP.
C’est la faute aux détenus
En réaction aux nombreuses plaintes des détenus, la direction de la maison d’arrêt, « très préoccupée », a sollicité l’Administration pénitentiaire (AP). Celle-ci a envoyé un expert afin de réaliser un audit la dernière semaine d’octobre. Le rapport écrit n’a pas été rendu mais, d’après la direction de l’AP, « la production du prestataire n’a pas attiré de remarques particulières tant en termes de quantité que de qualité ».
Avant le début du service, certains bacs sont pesés pour vérifier que les rations recommandées sont respectées. « Mais pas tous, peut-être que c’est insuffisant pour certains bacs », concède Bruno Clément-Petremann, chef d’établissement. Avant d’ajouter :
« En tout cas, a priori, si problème il y a, c’est un problème de distribution et de formation des auxiliaires, c’est tout. »
Dans cette maison d’arrêt, les auxiliaires en charge de la distribution sont tous des détenus choisis et encadrés par Eurest et les gardiens de la prison. « Mais ils dosent mal ce qu’ils servent », d’après Bruno Clément-Petremann. Si certains ont les crocs, c’est donc, dit-il de la faute de leurs co-détenus qui répartissent mal les rations ! La solution proposée par la direction : organiser une formation en novembre pour leur apprendre à bien utiliser leur louche.
Pour les détenus, le problème ne peut se résumer à un simple souci de distribution : le cahier des charges a beau être respecté, « ça ne veut pas dire que ça convient vraiment et que les quantités sont suffisantes », explique l’un d’eux. Sollicitée à ce sujet, la direction de l’Administration pénitentiaire a expliqué ne pas être en mesure de communiquer ce cahier des charges, « pour des raisons de confidentialité ».
Contactée, la direction de l’Administration pénitentiaire affirme également qu’un « plan d’actions a été décidé par l’établissement en liaison avec le prestataire privé qui a par ailleurs mené une politique de recrutement afin de renforcer ses équipes. » Un renfort apparemment insuffisant : d’après le chef d’établissement, plusieurs employés de cuisine, qui préparent les repas avec les détenus, auraient quitté Eurest ces dernières semaines. « Ils doivent être remplacés, mais ce n’est pas évident de recruter », précise ce dernier.
Un problème plus vaste
Même quand les repas sont servis en bonne quantité, d’autres problèmes reviennent fréquemment. « Les ascenseurs tombent souvent en panne, donc quand la bouffe arrive elle est froide », raconte un détenu. Le système de cantine a aussi été compliqué pendant de longs mois : retards de livraison de plusieurs semaines, erreurs dans les bons de commandes… Mais les détenus ont constaté une amélioration sur ce plan depuis quelques mois.
« Apparemment, pour la cantine, c’est réglé. Mais il va falloir faire en sorte que les détenus indigents mangent à leur faim maintenant. Il faut agir au plus vite », estime Ugo Bernalicis, député LFI, revenu à plusieurs reprises depuis sa première visite de la maison d’arrêt.
(1) – Les prénoms des détenus ont été modifiés.
(2) – En prison, la « cantine » est le seul moyen pour les détenus de procéder à des achats. Ceux qui disposent de ressources financières peuvent, via ce système, commander des produits (alimentation, hygiène…) pour améliorer leur quotidien.
(3) – À la prison de Paris-La Santé, il existe plusieurs quartiers spécifiques : isolement, disciplinaire, prévention de la radicalisation, personnes médiatiques et quartier de confiance.
À la prison de la Santé, les détenus les plus défavorisés ont faim
Depuis la réouverture de la maison d’arrêt de la Santé, de nombreux détenus déclarent souffrir de la faim. Certains auraient même perdu du poids. Dans cet établissement, la cuisine a été confiée à un prestataire privé.
Maison d’arrêt de Paris-La Santé – « On a encore faim même après avoir mangé », soupire un détenu devant son assiette, ce vendredi 25 octobre. Comme tous les midis, un auxiliaire déambule dans les couloirs de la prison pour servir le repas, dans le quartier de détention ordinaire. Sur son chariot, ce jour-là, des pâtes au thon et une salade de fruits. « On sait qu’on n’est pas à l’hôtel mais quand même, on n’a pas assez à manger ! », explique Alex (1), un autre occupant.
Le problème ne date pas d’hier. Après la réouverture de la maison d’arrêt après quatre ans de travaux, le député France Insoumise Ugo Bernalicis s’était rendu sur place le 27 février 2019. Lors de cette visite parlementaire, un détenu avait interpellé l’ancienne directrice de l’établissement sur les faibles quantités de nourriture, rapporte l’Observatoire international des prisons (OIP). « Dès la réouverture, on a eu plusieurs remontées de détenus qui avaient faim, mais aussi de soignants inquiets et même de personnels. On a enquêté et contacté à plusieurs reprises l’ancienne direction et la nouvelle par mail, sans jamais avoir de réponse », détaille Sarah Bosquet, journaliste chargée d’enquêtes à l’OIP.
Pour en avoir le coeur net, StreetPress a profité d’une nouvelle visite du député France Insoumise pour se rendre à la prison de la Santé et échanger avec les détenus.
« On a tout le temps faim ! »
Debout dans un coin de sa cellule de 9 mètres carré, qu’il partage avec un autre détenu, Robert (1) en a ras le bol. Il jette un regard déconfit vers sa salade de fruits :
« Y’a quoi, six tout petits morceaux là-dedans ! C’est toujours comme ça quand t’es en fin de tournée, tu te retrouves avec à peine deux cuillères de purée. »
Matin, midi et soir, c’est toujours la même histoire : les prisonniers en détention ordinaire croisent les doigts pour être servis parmi les premiers. Dans ce quartier, les repas sont servis à la louche par un auxiliaire. L’ordre de passage dans les cellules varie chaque jour. Plus la tournée avance, plus les bacs se vident, et plus les portions sont petites. Problème : de nombreux détenus sont « indigents » et n’ont donc pas les moyens de cantiner [acheter des produits, notamment alimentaires (2)] pour compléter l’ordinaire de la gamelle, pas assez consistant. « En gros, soit t’as de la thune pour t’acheter des trucs, soit tu crèves la dalle. Après le déjeuner, j’ai faim l’aprem. Après le dîner, j’ai faim la nuit. On a tout le temps faim ! », résume Robert (1).
Des détenus qui ont maigri
Pour les détenus interrogés, l’origine du problème est claire : les quantités de nourriture sont insuffisantes. Ahmed (1) occupe une cellule dans un quartier « spécifique » (3). Ici, les plats ne sont pas servis au bac mais à la barquette. « Dans les deux cas, c’est pas consistant », estime le jeune homme avant de montrer une étagère remplie de gâteaux. « J’ai de la chance, j’ai de l’argent », admet-il avant de confier : « Il y en a qui ont maigri depuis qu’ils sont arrivés. » Une situation spécifique à la Santé. « On est plusieurs à avoir été dans d’autres prisons avant et ici il y a moins à manger. Mais les normes sont respectées donc on peut rien dire, même si c’est pas assez. »
Depuis la réouverture de la Santé le 7 janvier 2019, la restauration de l’établissement est déléguée à la société Gepsa, et sous-traitée à Eurest, une marque de Compass Group France. Ce prestataire doit respecter un cahier des charges répondant aux prescriptions et aux recommandations diététiques fixées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et par le Groupement d’étude des marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN). Ces prescriptions, qui concernent aussi bien la quantité que la qualité des aliments, sont établies avec l’aide d’une diététicienne. Ce sont les mêmes dans les 63 établissements pénitentiaires dont la restauration est déléguée. Mais, d’après Sarah Bosquet, de l’OIP, confier les repas à des entreprises privées constitue déjà un problème en soi :
« Pour le partenaire privé il y a intérêt à faire des plus-values, et donc pas forcément à servir de grandes assiettes. Normalement, ce qui est servi doit suffire à satisfaire les besoins journaliers – y compris pour les personnes qui n’ont pas de ressources pour cantiner et qui doivent se contenter des repas servis. Visiblement, ce n’est pas le cas. »
Malgré les vives critiques des détenus et de l’OIP, la Santé prend son temps pour agir. « On attend depuis des mois déjà et ça ne s’améliore pas alors que tout le monde est au courant », tacle Alex, un détenu. « On a contacté les chefs d’établissement à chaque changement de direction. On a su en off qu’ils avaient bien conscience du problème – et que nos courriers avaient bien été lus – mais on n’a jamais reçu de réponse officielle à nos questions », abonde Sarah Bosquet, de l’OIP.
C’est la faute aux détenus
En réaction aux nombreuses plaintes des détenus, la direction de la maison d’arrêt, « très préoccupée », a sollicité l’Administration pénitentiaire (AP). Celle-ci a envoyé un expert afin de réaliser un audit la dernière semaine d’octobre. Le rapport écrit n’a pas été rendu mais, d’après la direction de l’AP, « la production du prestataire n’a pas attiré de remarques particulières tant en termes de quantité que de qualité ».
Avant le début du service, certains bacs sont pesés pour vérifier que les rations recommandées sont respectées. « Mais pas tous, peut-être que c’est insuffisant pour certains bacs », concède Bruno Clément-Petremann, chef d’établissement. Avant d’ajouter :
« En tout cas, a priori, si problème il y a, c’est un problème de distribution et de formation des auxiliaires, c’est tout. »
Dans cette maison d’arrêt, les auxiliaires en charge de la distribution sont tous des détenus choisis et encadrés par Eurest et les gardiens de la prison. « Mais ils dosent mal ce qu’ils servent », d’après Bruno Clément-Petremann. Si certains ont les crocs, c’est donc, dit-il de la faute de leurs co-détenus qui répartissent mal les rations ! La solution proposée par la direction : organiser une formation en novembre pour leur apprendre à bien utiliser leur louche.
Pour les détenus, le problème ne peut se résumer à un simple souci de distribution : le cahier des charges a beau être respecté, « ça ne veut pas dire que ça convient vraiment et que les quantités sont suffisantes », explique l’un d’eux. Sollicitée à ce sujet, la direction de l’Administration pénitentiaire a expliqué ne pas être en mesure de communiquer ce cahier des charges, « pour des raisons de confidentialité ».
Contactée, la direction de l’Administration pénitentiaire affirme également qu’un « plan d’actions a été décidé par l’établissement en liaison avec le prestataire privé qui a par ailleurs mené une politique de recrutement afin de renforcer ses équipes. » Un renfort apparemment insuffisant : d’après le chef d’établissement, plusieurs employés de cuisine, qui préparent les repas avec les détenus, auraient quitté Eurest ces dernières semaines. « Ils doivent être remplacés, mais ce n’est pas évident de recruter », précise ce dernier.
Un problème plus vaste
Même quand les repas sont servis en bonne quantité, d’autres problèmes reviennent fréquemment. « Les ascenseurs tombent souvent en panne, donc quand la bouffe arrive elle est froide », raconte un détenu. Le système de cantine a aussi été compliqué pendant de longs mois : retards de livraison de plusieurs semaines, erreurs dans les bons de commandes… Mais les détenus ont constaté une amélioration sur ce plan depuis quelques mois.
« Apparemment, pour la cantine, c’est réglé. Mais il va falloir faire en sorte que les détenus indigents mangent à leur faim maintenant. Il faut agir au plus vite », estime Ugo Bernalicis, député LFI, revenu à plusieurs reprises depuis sa première visite de la maison d’arrêt.
(1) – Les prénoms des détenus ont été modifiés.
(2) – En prison, la « cantine » est le seul moyen pour les détenus de procéder à des achats. Ceux qui disposent de ressources financières peuvent, via ce système, commander des produits (alimentation, hygiène…) pour améliorer leur quotidien.
(3) – À la prison de Paris-La Santé, il existe plusieurs quartiers spécifiques : isolement, disciplinaire, prévention de la radicalisation, personnes médiatiques et quartier de confiance.
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